Extrait des Actes de la Rencontre Archéologique de Saint-Dié-des-Vosges.

Société Philomatique Vosgienne

octobre 1988

 

SYNTHESE DE LA RENCONTRE ARCHEOLOGIQUE

DE SAINT-DIE - 7, 8 et 9 octobre 1988

 

Hugues VERTET

 

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En hommage au doyen J.J. Hatt, la Société Philomatique Vosgienne a organisé les 7, 8 et 9 octobre 1988 une rencontre archéologique à Saint-Dié sur le thème "Aspects de la religion celtique et gallo-romaine dans le N.E. de la Gaule, à la lumière des découvertes récentes".

II apparaît de plus en plus que l'étude du phénomène religieux de toutes les époques déborde largement l'étude stricte des images et des structures. Elle ne peut se réaliser en dehors de la compréhension de la société contemporaine. Le sacré et le profane, tout en conservant leur spécificité, sont étroitement dépendants l'un de l'autre. Cette démarche considère l'utilisateur comme le sujet central du religieux, puisque c'est lui qui éprouve le sentiment et l'exprime dans la conception d'une mythologie et dans la manière dont elle pénètre sa vie.

A la fin de ces trois journées passées ensemble, il est utile de faire un premier bilan de la réunion. Les actes montrent toute la richesse des apports de chacun. Nous insisterons ici plutôt sur les aspects méthodologiques qu'ont mis en relief chaque communication.

I - LES LIEUX DE CULTE de différents milieux sociaux ont été présentés aussi bien dans leur plan que dans leur implantation.

A) Dans chaque village pauvre des sommets vosgiens, M. Pétry nous a montré qu'il existait un petit sanctuaire quadrangulaire.

B) Dans la villa gallo-romaine, M. Lafon a mis en rapport l'évolution du plan et celle du sentiment religieux. II a pris comme exemple le creusement de la cave -lieu de culte probable- sous le bâtiment central, puis son comblement et l'évolution de la salle d'apparat, qui transfère au maître de la maison une dimension divine.

C) Dans la ville de Nasium, M. Legin nous a exposé ses recherches sur le plan du temple du plateau de Mazevoie.

D) Dans ce qui fut peut-être un lieu de marché, à Deneuvre-Baccarat -les fouilles ultérieures le montreront- M. Moitrieux a fouillé un sanctuaire d'Hercule des eaux. Même si le sanctuaire s'est présenté à nos yeux comme un petit étang bordé de joncs, il était important de le situer de visu dans le creux des collines qui l'entourent et qui dominent le vallon.

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II - LES RITES

M. Petit a présenté les fosses et les puits à offrandes découverts dans ses fouilles de Bliesbrück. Localiser de telles structures entre un quartier artisanal et une rivière, en donner des stratigraphies est un apport essentiel à la compréhension de ces installations énigmatiques.

Des déchets de vaisselle et de cuisine font partie du remplissage. Comme dans les tombes, le matériel sacré n'est discernable du profane que par l'emploi qu'on en fait. Une vaste enquête montre que ces fosses et ces puits ne sont pas des rites de toute la Gaule.

III - LES IMAGES des divinités ont été présentées, avec une attention particulière aux conditions de production et d'utilisation.

A) La place des Jupiter à l'anguipède fréquents dans le N.E. a fait l'objet de plusieurs observations : M. F. Pétry, étudiant les villages gallo-romains pauvres des Vosges, a montré l'érection des colonnes qui les portaient dans la cour de chaque ferme. M. G. Tronquart nous a présenté, dans le musée de Saint-Dié, ceux qui ont été découverts au "camp de la Bure" et ensuite nous a montré sur le terrain l'endroit de leur trouvaille, au milieu des installations des travailleurs du fer. Dans l'ensemble culturel du Donon, M. Hatt nous a situé la croisée des chemins où ils avaient été érigés.

B) Au sujet des sculptures elles-mêmes, Mademoiselle Rantz nous a montré les diverses formes que le dieu à l'anguipède avait prises selon les époques et les régions. M. Moitrieux a présenté des stèles d'Hercule sculptées dans les roches locales. Dans le site qu'il fouille, tout se passe comme si nous étions devant une romanisation voulue de la religion aussi bien dans le choix du dieu que dans les styles adoptés. Pendant la visite du musée d'Epinal, J.J. Hatt a appliqué aux sculptures exposées la théogonie celtique qu'il a reconstituée.

C)A partir des monnaies du bas Empire, sur lesquelles il a retrouvé des représentations de divinités gallo-romaines, M. Turcan a mis en oeuvre les principes de toute recherche sur les images.

- Qui a produit la représentation divine ? (ateliers... ).

- Pour qui ? (militaires recrutés en Gaule).

- Comment a-t-elle été porteuse de l'imaginaire religieux gaulois ? (images traditionnelles, évolution du bestiaire... ).

- Quelle a été sa continuité dans l'imaginaire religieux chrétien (cerf... ).

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D)Sur la sigillée, Madame Demarolle a réfléchi sur la mise en place des animaux par les potiers de l'Est de la Gaule et leur rôle dans le décor : dynamisme du mouvement, fantastique, disproportion des sujets entre eux... M. Lutz a identifié non seulement un décor inédit : Orphée, mais encore un potier nouveau.

E) Dans le répertoire des figurines d'argile, M. Vertet a souligné que les représentations populaires doivent être décrites minutieusement avant d'être interprétées à plusieurs niveaux : celui de la mythologie, celui du besoin quotidien, celui de l'art... prenant comme exemple les nourrices et un groupe de Vénus.

IV - LES TEXTES grecs et latins peuvent être utilement réétudiés. Ainsi M. Le Gall nous a-t-il montré que les Panégyriques, souvent méprisés, pouvaient être relus avec fruit et apporter des renseignements inattendus. Il en a donné plusieurs exemples : la valeur symbolique du bouclier gaulois, les vierges blanches, les minores dei,...

V - LA MYTHOLOGIE celto-gauloise a été reconstituée par M. Hatt. Un premier tome de son ouvrage va paraître. Aborder l'imaginaire religieux est une entreprise difficile. (Vous avons besoin qu'en ce domaine des gens hardis et d'immense culture comme lui s'engagent dans de vastes synthèses. Comme il l'a souligné dans son exposé, ses hypothèses peuvent toujours être enrichies et remises en cause par de nouvelles découvertes.

VI - GROUPE DE TRAVAIL

M. Hatt a suggéré la création d'un groupe de travail sur "la religion celto-romaine depuis l'âge du bronze jusqu'au Ve après JC", et sur "les religions celtiques ".

Cette proposition a été suivie de plusieurs suggestions et questions il apparaît utile d'établir d'abord un bilan des groupes et des programmes de recherche déjà engagés sur le même sujet (Centre, Picardie... ) et des équipes qui étudient les nécropoles et les rites funéraires en Gaule. Quel territoire envisager : l'Europe ? la France ? l'Est de la Gaule ? Faut-il inclure dans ce programme tous les sujets : lieux de culte : temples, pélerinages, marchés, chemins, nécropoles, intérieur et extérieur des habitats (villae, fermes, cabanes, quartiers artisanaux, etc... ) : rites, figures divines (sculptures, figurines, monnaies, avec un regard précis sur les fabricants et les utilisateurs) ; survivances et évolutions... ?

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La réalisation d'une telle entreprise sera réexaminée au cours d'une réunion prévue dans un an, à Saint-Dié. Toutes les observations, suggestions, possibilités de participation sont à adresser à Monsieur Ronsin, conservateur du musée de Saint-Dié, président de la Société Philomatique Vosgienne (Bibliothèque municipale - 11, rue Saint-Charles 88107 Saint-Dié) ou à Monsieur Tronquart - 17, rue de la Roche des Fées 88100 Saint-Dié.

VII - CONCLUSION

Au cours des communications comme dans les conversations particulières, si importantes dans les colloques, le religieux est apparu comme une énergie puissante qui circule, se déplace, change de forme sans cesse selon les lieux et les époques de la société antique.

Les hommes ont créé des mythologies indispensables, appropriées à une relation à la vie, la nature, la fécondité, la maladie, l'angoisse, la mort... Aussi sont-elles vécues et traduites différemment selon les milieux sociaux.

Aux yeux de l'archéologue, des sculpteurs ont taillé des pierres, des potiers ont modelé l'argile, les orfèvres ont fondu des statuettes, tous ont donné forme à l'imaginaire religieux. La substance profane est devenue sacrée puis redevenue profane : les sculptures ont été cassées, retaillées, réutilisées dans les murs, les figurines ont été jetées aux dépotoirs, les bronzes ont été souvent refondus. Les lieux de pèlerinage ont été consacrés et aménagés, puis abandonnés à la forêt ou à la culture et parfois réinvestis de leur pouvoir quelques siècles plus tard. Les rites des uns ont laissé des traces difficiles à interpréter pour les successeurs, qui en ont inventé d'autres. L'architecture et l'urbanisme, l'occupation des sols furent aussi les témoins des places changeantes du sacré dans la vie quotidienne.

Ce sont ces états successifs et cette dynamique qu'il nous paraît utile de comprendre. Quels sont les meilleurs moyens d'y parvenir ? c'est la question que nous nous sommes posée à la fin de la réunion de Saint-Dié et qui pourra être le sujet d'une prochaine réunion.