HOMME ET ANIMAL DANS L'ANTIQUITE ROMAINE, Actes du colloque de Nantes 1991, Université de Tours, CAESARODUNUM N° hors série, Centre de Recherches A. PIGANIOL, Tours, 1995.

pp. 413 à 425.

 

OBSERVATIONS SUR LES ÉLÉMENTS ANIMAUX DANS LES IMAGES DIVINES GALLO-ROMAINES ARVERNES

 

H. VERTET (C.N.R.S.)

Les éléments tirés du règne animal et introduits par les artisans arvernes, sculpteurs, bronziers, potiers.... dans les images des personnages divins gallo-romains suggèrent quelques observations et hypothèses que nous voudrions vous soumettre aujourd'hui. Il se pourrait qu'il y ait ici un vaste sujet de recherche à explorer.

 

I - DOCUMENTS

 

Voici les principales images classées selon les techniques et les matériaux utilisés par les artisans: pierre, bronze, argile (figurines et sigillée)

 

PIERRE:

a)- géant à l'anguipède,

b)- dieu tricéphale avec oreille de cerf,

c)- Mercure de Lezoux (pétase, bouc),

d)- dieu au serpent (Clermont Ferrand), E) Epona sur son cheval, (Gannat) F) Vénus avec oiseaux ?

BRONZE:

a)- figurines féminine avec bois de cerf, (grotte de Jonas, VERTET 1985 -B )),

b)- déesse tricéphale avec bois de cerf (Vertet 1985- D)

c)-Cernunnos avec bois de cerf.

d)- Mercure ailes d'oiseau sur le pétase et aux talons, caducée avec serpents .

ARGILE:

Les documents sont beaucoup plus nombreux, en raison notamment de la bonne conservation des documents d'argile, fabriqués en série, non récupérables et quasi indestructibles. Nous les avons relevés sur la sigillée décorée, où les potiers ont utilisé un grand nombre de sujets figurés tirés sur répertoire gréco-romain.

 

A - SIGILLEE.

Ier siècle.

1- personnage (divin ?) luttant contre un monstre.

2- Actéon.

3- Dioscures.

 

IIe siècle.

3 - Jupiter sur son char avec foudre (OSW n°101, 102).

4 - Prométhée et l'aigle (OSW n°58).

5 - Europe (OSW n°63).

6 - Soleil sur son char (OSW n°99).

7 - Mercure caducée avec serpents (OSW n°526, 527, 529).

8 - Mercure et bouc (OSW n° 524).

9 - (Mercure AVEC caducée SANS bourse (OSW n°521, 522).

10 - Diane avec biche (OSW n° 103 C D, 106,107).

11 - La lune sur son char attelé (OSW n°117).

12 - Bacchus et la pantère (OSW n° 565, 588)

13 - Pan (OSW n°709, 710, 712, 713, 715, 716, 718, 719, 721, 723).

14 - Actéon portant des bois de cerf et attaqué par les chiens, (OSW n° 124, 125 b).

15 - Anubis dieu à tête de chien.

16 - Nymphe sur dauphin (OSW n° 16).

17 - Triton (OSW n° 18), avec massue (OSW n° 19), avec épée (OSW n°21), avec rame (OSW n°24, 25).

18 - Centaure (OSW n°732, 734, 735, 740 à 745).

19 - Hercule et la peau du lion de Némée (OSW n°747, 748, 749,751 753, 755 à 757, 760, 785) et accompagné par le lion (OSW n°795, 796).

20 - Hercule et le sanglier (OSW n°789, 790).

21 - Hercule et l'hydre de Lerne (OSW n°784, 785).

22 - Dioscure avec son cheval (OSW n°827, 828).

23 - Bellérophon et Pégase (OSW n°834, 835).

24 - Sphinx (OSW n°852, 853, 854, 855, 856, 857, 858).

25 - Griffon ailés (OSW n°864, 865).

26 - Sirène ailée jouant de la flute (OSW n° C860, 861, 862).

27 - Centaure marin (OSW n°23) - centaure marin avec rame (OSW n°22) .

28 - Centaure marin avec queue de poisson (OSW n°29).

29- Triton (OSW n°30).

 

Ajoutons que dans plusieurs compositions, les personnages divins sont juxtaposés à des animaux, chacun étant imprimé avec un seul poinçon-matrice. Comme le style décoratif populaire gallo-romain de la sigillée juxtapose des décors dans une logique qui n'est pas du tout celle de l'art classique, la relation entre les sujets est difficile à établir, sauf exception, comme Actéon attaqué par des chiens par exemple .

 

Appliques: Plusieurs vases sont décorés de reliefs appliqués que décorent des personnages parfois tirés de moules de sigillés, parfois de surmoulages de reliefs de bronze, (VERTET H, Gallia) parfois d'autres objets. Ils comportent soit des sujets soit isolés, soit assemblés (DECHELETTE).

1 ) - Admète avec lion et sanglier, (VERTET 1959).

2) - Visage barbu avec cornes de taurillon, DECH., II, p.225-226).

3) - Ganymède enlevé par l'aigle (DECH.,II, p.193), - Léda et le cygne, DECH.,II, p.192.

4) - Mercure avec Pétase, bouc (DECH., II, p 206).

5) - Apollon et le griffon (DECH, II, p.194),

6) - Amour ailé (DECH., II, p.201 à 204).

7) - Amour ailé et lapin (DECH.,II, p.203).

8) - Bacchus et panthère ? (DECH.,II, p.207).

9) - satyre avec pieds de bouc (DECH., II, p.207). centaure emportant une femme DECH.,II, p.210. le fils aîné de Laocoon enlacé par deux serpents DECH.,II, p.212-213.

10) - Hercule et le lion (DECH.,II, p 209)

11) - Hercule et le lion de Némée (DECH., II, p 209)

12) - Le fils aîné de Laocoon enlacé par deux serpents (DECH., II, p.212-213).

13) - Anubis dans le cortège de Cybèle (DECH.,II, p.286).

14) - Pan (masque) (DECH.,II, p 225)

15) - Sirène ailée debout (DECH, II, p 229)

16) - Dragon à queue de reptile et à corps de lion (DECH.,II, p229) tête de Méduse DECH.,II, p.227.

17 - Mithra tuant le taureau (VERTET-1984).

 

29 + 17 = 46 SUJETS

 

B - FIGURINES.

1 ) - Mercure : casque avec excroissances (ailes d'oiseau ou cornes de bouc ?) et serpents du caducée (VERTET1962).

2) - Bustes féminins avec torques terminés par des têtes de serpent; (VERTET-VIGAN-CONNIER).

3) - Vénus avec tritons,

4) - Jupiter avec aigle, Jupiter enlevant Léda (oscilla),

5) - femme assise sur un cheval,

6) - un taureau,

7) - un sanglier (VERTET-WUILLEMOT 1973-B),

8) - un lion.

9) - Léda et le cygne ,(VERTET, 1973-A))

10) - Apollon (?) à côté d'un autel entouré d'un serpent (n°4, 6,9,1 Oscilla VERTET 1973-A).

 

B' - MYTHES.

 

10) - lion avec tête humaine entre ses pattes,

11) - enfant sur un dauphin, (TUDOT, ROUVIER-JEANLIN).

donc 11 figurines contre 46 sujets en T S M; à souligner qu'il y a un répertoire de figurines bien plus réduit que de reliefs de sigillée

 

B" - DEDICANTS (?): enfant avec un canard ou un lapin, copié sur des figurines ou l'orfèvrerie héllénistico-romaines

 

C - LAMPES.

 

Décors peu probants; le choix des décors par le potiers n'a pas encore été étudié.

Bois : aucun sujet divin avec animaux n'a été relevé dans les bois de la Source des Roches (sauf cavalier, mais divin ?)

 

II - CONTEXTE.

 

Pour interpréter ces documents, il nous faut les replacer dans les milieux et les époques qui les ont vu se diffuser en Gaule et rappeler ici quelques caractéristiques de ce pays et quelques réactions habituelles des peuples conquis. En effet, les conditions historiques, sociologiques, techniques... de la production des images interfèrent entre elles et déterminent de grandes lignes de recherche. Pour éviter les aspects disparates des catalogues de figurations gallo-romaines, il est de plus en plus certain que nous ne pouvons inclure dans les mêmes inventaires des figures qui ont évolué et dont le sens a varié. Les besoins matériels et ceux de l'imaginaire ont changé en Gaule au cours des mutations de société extrêmement importantes, étalées sur trois ou quatre cents ans. Partir d'images datées est nécessaire, et, actuellement, ce sont les images d'argile qui le sont le mieux.

 

1 - Historiquement, on sait que la Gaule a vu arriver des peuples successifs, lors d'invasions plus ou moins violentes. Chacun de ces peuples apportait les images de ses dieux. Parmi les principaux apports, nous pensons à ceux des Romains, et avant, à ceux des Celtes. Auparavant encore existait des divinités indigènes anciennes, peut-être rarement figurées. (VERTET 1985-A) .

 

2 - Des techniques romaines, notamment de sculpture et de moulage qui permettent de reproduire facilement les figurations dans les différents matériaux cités ci-dessus: pierre, bronze, argile, bois, s'introduisirent en Gaule, au début du Ier siècle. Ces pratiques concordent avec des désirs complexes de produire des images divines, qu'il serait trop long de rappeler ici.

 

3 - En raison de ces invasions successives, les Celtes puis les Romains avaient une position dominante sur le peuple indigène, qui avait perdu son pouvoir, ou qui n'en avait jamais eu et restait pauvre en grande partie. Les séries d'images divines: celles de pierre et de métal se différenciaient par leur prix d'achat de celles d'argile. Ainsi se divisent deux grandes séries d'images. Les riches peuvent acheter toutes les figures; les images d'argile, de loin les moins chères, ne sont accessibles qu'aux plus pauvres. Or, nous avons constaté que ces deux séries ne représentent pas exactement les mêmes panthéons . (VERTET, 1 985-A)

 

Pour ce qui est des figures arvernes, qui nous intéressent ici, nous connaissons assez bien l'évolution et les contextes technique, historique et sociologique où les images d'argile ont été réalisées. Nous connaissons moins bien la production des sculpteurs et des bronziers. De à, nous insisterons plus sur les productions des ateliers de potiers dont voici les grandes lignes:

 

Dans la période qui va du Ier au début du IIIè siècle se crée dans ce peuple un art populaire figuré en argile. On a dressé des répertoires des figurines et des décors de sigillée datés mais nous devons rappeler que les évolutions de ces répertoires sont différentes. Alors que celui de la sigillée a été renouvelé deux ou trois fois, celui des figurines semble continuer sur sa lancée et se nourrir d'une évolution interne venue de la population pauvre des ateliers. (VERTET 1991)

 

4 - En général, les vaincus sont éblouis par la puissance des conquérants, qui apportent souvent un art plus savant. Les dieux anciens sont contaminés lentement par ceux du vainqueur, souvent plus dans leur forme que dans leur contenu. L'art et les croyances populaires conservent des images anciennes, même si elles sont reproduites avec des techniques plus performantes.

 

Faute de textes, il est difficile cependant de dire dans quelle mesure la religion ordinaire d'un peuple confronté aux images et aux croyances étrangères à sa culture a évolué de façon consciente. Le langage des formes, comme celui des mots, s'éloigne des langues classiques à mesure qu'il pénètre dans des régions qui ne sont plus celles où il a été conçu et où il s'est formé. (VERTET 1990). Dans des contextes de vie renouvelés par la romanisation comme ceux de la Gaule centrale du Ier et IIe siècle, la religion ancienne et les nouvelles croyances mieux adaptées se dotent en même temps d'expressions iconiques appropriées aux nouveaux besoins.

 

Nous avons souligné les analogies entre les créations de l'art gallo-romain et de l'art chrétien de cette époque, mieux connu car nous avons des textes. Par exemple le personnage païen d'Aristée, à la mode au temps d'Auguste, devient celui du bon berger rapportant la brebis perdu, sans aucune référence au mythe romain. (LECLERCQ). Les ethnologues ont relevé de la même façon combien des images transplantées incarnent d'autres personnages en changeant de continent.

 

On constate aussi que les gestes et les attitudes des divinités essentielles des pauvres sont analogues à celles de la vie courante. La nourrice allaite, la jeune fille tient sa serviette. L'attitude du corps est souvent le vrai attribut du personnage divin. Il est inutile au potier d'écrire ni son nom ni celui de la divinité pour des illettrés, d'ajouter un objet ou de l'étrangeté La clientèle doit identifier du premier coup d'oeil une forme familière. "Même lorsqu'elle porte une signature, l'image pieuse est oeuvre anonyme, parce qu'elle ne consiste pas en la mise à l'épreuve d'un style, mais en la diffusion intelligible d'un message. L'image pieuse est porteuse d'une signification qui existe en dehors même de celui qui la formule" (LABROT).

 

Que nous apportent ces observations et le répertoire des divinités arvernes en relation avec le monde animal dressé ci-dessus ?

 

III - CONFUSIONS- INTERPRETATIONS.

 

Nous constatons d'abord que les images importées dans le peuple gaulois ont été parfois été confondues entre elles et interprétées. Nous en verrions la raison, dans le fait qu'elles n'ont pas été adoptées avec leur mythologie d'origine gréco-romaine. Comment les indigènes l'aurait-il connue ou désirée ? Elles ont été acceptées pour des raisons étrangères à celles qui les avaient fait naître. La recherche attentive des "erreurs" est une des clefs pour comprendre les croyances gauloises. Nous en donnons ici trois exemples, puis nous émettrons quelques hypothèses.

 

1 - Les tritons et les anguipèdes se confondent. Les jambes du monstre s'achèvent par des têtes de serpents ou des nageoires de poisson. On rencontre ainsi cette confusion sur les panses de plusieurs bols de LIBERTVS, potier de Lezoux du début du IIe siècle. Il organise par exemple des scènes marines avec des bateaux et une mer peuplée de tritons et d'anguipèdes mêlés sans distinction. On relèvera la même confusion sur les sculptures représentant le "cavalier à l'anguipède".

 

2 - Parmi les interprétations plastiques d'attributs divins, celles du caducée nous apparaît notable. Sur les figurines et la sigillée, il peut perdre complètement ses reptiles et devenir un manche surmonté d'un huit (IIe), ou s'assimiler à un autel entouré de serpents dont la queue est dans le sol (fin IIè). On notera aussi chez Mercure la fréquente disparition des ailes du caducée et des jambières. Celles du pétase peuvent aussi disparaître. Elles sont parfois assimilées aux cornes du bouc familier de ce dieu .(VERTET 1 962-B )

 

3 - Les transferts aux divinités féminines d'attributs divins masculins: bois de cerf, tricéphalie et position assise en tailleur se rencontrent sur trois figures de bronze que nous avons mentionnées, de fabrication vraisemblablement arverne ( I 985-C). Ces derniers attributs sont ceux que l'on donnait fréquemment à CERNUNNOS, chef de guerre et dispensateur de richesse. (VERTET 1985 -B )

 

Il serait possible de donner d'autres exemples de transformation des attributs. Ainsi avons-nous montré que la draperie de la jeune fille nue se transforme en eau coulante (VERTET 1988).

 

IV - HYPOTHESES.

 

Ces confusions et ces interprétations se font-elles au hasard comme on l'a supposé ? Rien ne le prouve. C'est une attitude de mépris qui bloque notre étude. Chaque culture créée son canon et méprise ce qui e~ dévie, comme chaque religion dominante appelle superstition ce qui diverge des mythologies normalisées. L'examen de ces "erreurs" et leur juxtaposition avec des objets très bien copiés nous incite à les étudier comme l'expression d'une culture indigène vivante. Ainsi

 

1 - On s'accorde actuellement pour interpréter le cavalier à l'anguipède comme une divinité céleste qui libère l'eau du ciel et de la terre représentée par le monstre. Les nageoires placées au bas de son corps pouvaient suggérer pour un Gaulois l'eau autant que la tête des couleuvres qui hantent sources, marres et rivières. Sur un médaillon de Lezoux, le potier a découpé un triton placé sous le char du soleil, dans un assemblage analogue (VERTET 1967). Nous sommes ici loin du combat des monstres contre les dieux de la mythologie grecque.

 

2 - L'image de Mercure s'est répandue en Gaule avec l'installation des Romains. Mais pour le Gaulois du centre de la Gaule, les serpents qui accompagnent ce dieu n'ont que peu de rapport avec le ciel. Les ailes du caducée disparaissent (documents du début du IIe s.). Au contraire, un rapport précis avec la terre s'établit. Ainsi le caducée est-il souvent posé à terre, ce qui est rare en Grèce comme en Italie. La queue des serpents reste engagée dans le sol. Ainsi en est-il sur le petit bronze de Chatenay (Eduen) (VERTET 1 962-A), sur la sculpture de Néris (Biturige), sur le Mercure en argile de Pistillus ( fin IIe) etc.

 

Ces serpents ne sont point toujours noués autour du bâton divin. Ils sont enroulés par exemple autour d'un autel avons-nous vu. Ils se dégagent du bâton. Portant une tête de bélier, parfois seuls, ils viennent manger dans le giron du dieu (sculpture de Néris). Ils ont donc un autre sens que nous connaissons encore mal, bien différent de celui du caducée d'Hermes ou de Mercure.

 

3 - Les trois figures féminines en bronze du Musée de Clermont-Ferrand portent ramures de cerf et tricéphalie attributs habituels et masculins de Cernunnos (cf inventaire ci-dessus). (VERTET 1985 -C).

Le transfert à des divinités féminines des attributs d'un dieu masculin, en particulier d'un animal mâle, dieu de la guerre et de la richesse, peut être mis en rapport avec la prééminence des divinités féminines dans la religion ordinaire. L'énorme quantité de jeunes filles nues (Vénus) et de nourrices fabriquées de préférence aux dieux masculins dans les ateliers rustiques du centre de la Gaule, dans un milieu de cultivateurs, suggère que c'est bien elles qui possédaient les puissances essentielles, aux yeux des pauvres (RABEISEN-VERTET). Le même phénomène de transfert de pouvoir du masculin au féminin se retrouve dans une religion importée plus tard en Gaule: le christianisme. Les pouvoirs essentiels reviennent peu à peu à une figure féminine: Marie. Témoin en est par exemple au XVe siècle la "Ballade pour prier Notre Dame" de Villon, qui commence par cette invocation:

Dame des cieux, régente terrienne terrienne

Empérière des infernaux palus

Il ne reste plus guère de place pour un Dieu auquel échappe le ciel, la terre et le monde souterrain !

 

Si Cernunnos est un dieu essentiel qui vient des apports celtiques, on peut supposer que les cultivateurs ont attribué spontanément à leurs déesses les attributs du pouvoir et de l'abondance de ce dieu. Plusieurs autres documents peuvent être interprétés comme une affirmation de la place royale qu'avaient conservée les anciennes divinités féminines de la fécondité. Je pense aux bustes d'argile représentant des divinités féminines, apparus à la fin du ler siècle, avec des torques portant des têtes de serpents affrontées analogues à celles du caducée (VERTET-VIGANCONNIER 1980) et aux coiffures des impératrices qu'on leur ajuste.

 

D'où viennent ces déesses qui évoquent l'eau et la terre nourricière ? Probablement d'un fond plus ancien, peut-être néolithique .

 

4 - On peut aussi se demander quel peut être la valeur divine ou symbolique du lion si fréquent sur la sigillée et en figurines. Le lion est un animal qui n'a rien à voir avec la faune de la Gaule. On a certes supposé que les animaux exotiques apparaissaient dans les spectacles des cirques et qu'ils avaient frappé l'attention des Gaulois. Cet argument est une pétition de principe, car la situations des ateliers loin des villes rend incertaine l'assiduité des potiers à ces festivités et il n'est pas sûr que leurs rustiques clients aient eu un engouement certain pour ces animaux. S ' il apparaît dans 1' art celte, que représentait-il pour le petit peuple gallo-romain ?

 

Nous avons repéré récemment avec Maurice Franc une figurine représentant un lion avec une tête humaine placée entre ses pattes, sous sa gueule. On pense aux monstres androphages et aux têtes coupées. C'est probablement un thème celtique. Il n'est pas du fond gaulois le plus ancien puisqu'il n'a pénétré qu'au IIe siècle dans le répertoire des modeleurs. L'image de ce fauve pourrait avoir été introduite par les Celtes et réactivée dans le milieu populaire par la sculpture gallo-romaine.

 

On voit aussi souvent sur la sigillée un lion terrassant un sanglier. On sait que l'enseigne guerrière de la Gaule indépendante portait souvent un sanglier, que son image apparaît souvent sur les monnaies gauloises et que Rome a diffusé abondamment l'image des lions. Y a-t-il ici un souvenir de l'histoire de la Gaule dans laquelle le sanglier gaulois a été écrasé par le lion romain ?

 

Conclusion.

En conclusion, le pays arverne, appuyé sur le Massif central, apparaît comme un conservatoire remarquable de divinités de plusieurs époques Les trois couches repérables d'apports d'images en Gaule: celle de Rome, celle des Celtes, celle de le la pré et proto- histoire sont probablement plus perceptibles ici qu'ailleurs.

 

Nous supposons que les figures représentées par les potiers, en majorité féminines, peuvent nous renseigner sur les divinités anciennes, pré ou proto-historiques honorées dans les campagnes. Ce serait assez vraisemblable dans le milieu rustique où elles ont été produites. Il ne semble pas que l'art populaire gallo-romain du centre de la Gaule, exprimé dans l'argile, ait beaucoup intégré les images divines celtes et romaines comportant des attributs ou des compagnons animaux. Il n'y en a aucun chez les divinités les plus communes: la jeune fille nue et la nourrice (RABEISEN-VERTET). Cependant, quelques unes de ces images y ont peu à peu trouvé leur place, à partir du second siècle, sans obtenir un grand succès et probablement avec des significations nouvelles.

 

L'étude des relations entre les dieux et les animaux, c'est à dire la relation entre le supra et l'infra-humain, concerne ce qu'exprime l'inconscient collectif de chaque peuple. Des images composites sont créées, où les deux niveaux sont juxtaposés ou entremêlés. Elles constituent un vaste champ de recherche encore peu exploré. Classer des documents selon des critères nouveaux et examiner le fonctionnement des imaginaires gaulois, celte, romain, sera vaste travail. Cette communication voudrait seulement attirer l'attention sur cette approche mal explorée de la religion gauloise.

 

 

Notes.

DECH = DECHELETTE J., Les vases céramiques ornés de la Gaule romaine, 1904

 

1966 LABROT Gérard, Un type de message figuratif: l'image pieuse, Mélanges d'archéologie et d'Histoire, Ecole Française de Rome, 1966, p.597. Il nous semble que les réflexions que fait l'auteur sur les images pieuses chrétiennes comportent des analogies valables avec les figurines gallo-romaines. On pourrait ajouter "l' image pieuse la plus courante, celle qui est illustrée par des séries massives, s'adresse avant tout aux masses sans culture, au sein desquelles le message linguistique ne peut que très exceptionnellement accomplir son office".... c'est pourquoi l'image pieuse la plus courante, celle-là même à laquelle nous aurions tendance à réserver le terme, propose une seule figure, à haut degré de familiarité, qui déclare immédiatement son nom: Christ, Vierge, Saint Populaire", p. 60

 

LECLERCQ H., Manuel d'archéologie chrétienne, T.1, p.l60, 1907.

 

OSW = OSWALD F. - Index of figure-types on terra sigillata, Liverpool § 1936- 1937

 

RABEISEN E et VERTET H - Les figurines gallo-romaines en terre cuite d'Alésia, Dijon, Centre de recherches sur les techniques gallo-romaines, 1986

 

ROUVIER-JEANLIN, Les figurines gallo-romaines en terre cuite au Musée des Antiquités Nationales, 24° supplément à Gallia, Paris 1972

 

TUDOT, Collection de figurines en argile, Paris 1860, pl.47. JANLIN,

 

1959 - VERTET H. - Hercule et Cerbère ? Etude d'un motif de la sigillée par la méthode photographique, R.A.E., t.X, 1959, pp.48-61. J. Déchelette a cru identifier Hercule conduisant le chien Cerbère à deux têtes. J'avais identifié un sanglier et un lion. Ch. Picard a identifié dans le personnage le héros Admète, représentation fort rare en Gaule.

 

1962-A. VERTET H. - Mercure en bronze trouvé à Chantenay (Nièvre), R.A.E. t.XIII, 1962, pp.65-73

 

1962-B. VERTET H. - Remarques sur l'aspect et les attributs du Mercure gallo-romain populaire dans le centre de la Gaule Mélanges offerts à Albert Grenier, t.III, Collection Latomus 58, Bruxelles, 1962, pp.332-347. On notera aussi un serpent à tête de bélier enroulé autour d'un autel, sur le bas relief de Sommecourt. Comme la partie haute de la sculpture manque, on ne saurait dire si le personnage debout est Mercure.

 

1980- VERTET H. - CHANTAL DU VIGAN et Yves CONNIER, Quatre séries de figurines: bustes, paons, coqs, édicules - découvertes dans l'atelier de Saint Bonnet - Yzeure, dans "Recherches sur les ateliers de potiers de la gayule centrale", T.1, hors série n°6, Sites, AFAM Gonfaron 1980, pp.231 -257.

 

1967 VERTET H. - Pendentif en terre sigillée trouvé à Lezoux, un nouveau Jupiter à l'anguipède ? R.A. C. 1967, T.VI, p.305-310.

 

1969 VERTET H. - Observations sur les vases à médaillons d'applique de la vallée du Rhône, Gallia 1969, XXVVII, p.93-163VERTET H. - Appliques et vases gallo-romains fabriqués avec des moules brisés, R. A. C. 1973, T.,XII p.69 à 85 - VERTET H. - Reliefs d'applique tirés de moules de sigillée, R. A. C. 1976 T XV, p.319

 

1973-A. VERTET H. - Oscilla gallo-romains en argile des ateliers de la Gaule Centrale; Congrès national des Sociétés Savantes, Saint Etienne, 1973, archéologie, p.447-466.

 

1973-B. VERTET H. et G. VUILLEMOT, Figurines gallo-romaines en argile d'Autun, Mémoires de la Société Eduenne, 52, 1973, pp. 150-240

 

1984- VERTET H. - Quel sens donner au vase mithriaque fabriqué dans l'atelier de potiers de Lezoux ? Hommages à Lucien Lerat, t. II, Besançon, Belles Lettres, 1984, p.849-862 VERTET H., Les représentations mithriaques sur les vases d'argile en Gaule, Actes du Congrès National des Sociétés Savantes, Clermont-Ferrand, 1965 p. 112-129.

 

1985-A VERTET H. - Religion populaires et rapport au pouvoir d'après les statuettes d'argile arvernes sous l'Empire romain, dans Archéologie et rapports sociaux en Gaule, table ronde du CNRS, pp. 72-122. Les Belles Lettres. 1984 (paru 1985).

 

1985-B VERTET H. - Observations sur le dieu "Cernunnos" de l'autel de Paris, Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1985, pp. 163-174 (paru en 1987). Une autre figurine de femme avec des bois de cerf est signalée par S. REINACH à Besançon.

 

1985-C. VERTET H. - Les figurations divines chez les Arvernes ,dans "Sanctuaires arvernes", Clermont-Ferrand, 1985, pp. 100-131.

 

1988-A - H. VERTET - La draperie des Vénus en terre blanche des ateliers arvernes au IIe siècle. Interprétation, Mélanges Pierre Lévêque, t. IV, Religion, pp. 405-417, 1988.

 

1988-B - VERTET H. - Recherches sur le sens des figurines en terre blanche gallo-romaines, Actes du colloque "Le monde des images en Gaule et dans les provinces voisines" 16-17 Mai 87, Editions Errance, 1988, pp. 229-241.

 

1989-A - H. VERTET - Observations sur les figurines de nourrice en argile gallo-romaines fabriquées dans les ateliers de potiers du centre de la Gaule, à la lumière des découvertes récentes, Saint Dié des Vosges, 1989, pp. 169-176.

 

1989-B - VERTET H. - Recherche sur les ateliers de potiers de la Gaule centrale, résultats, problèmes, projets, Actes du colloque International de la SFECAG, Lezoux, 1989, pp. 11-19.

 

1991 VERTET H. - Observations sur la sociologie et l'économie des ateliers de potiers gallo-romains de la Gaule centrale, S.F.E.C.A.G., Actes du Congrès de Cognac, 1991, pp. 185-191.

 

1986-VERTET H. - Recherches sur les potiers de la Gaule centrale, Mélanges offerts à Pierre-François Fournier, 1985, pp.15-37.

VERTET H. - Recherches actuelles sur les ateliers de potiers de la Gaule centrale, Céramique antique en Gaule, SFECAG, actes du Colloque de Metz 1982, Presses Universitaires de Nancy, 1985.VERTET H. - Lezoux et les ateliers du centre de la Gaule. Les Dossiers de l'Archéologie, n°9, 1975, p.35 à 50-

VERTET H. Pauvres potiers, pauvre misère. Les dossiers de l'archéologie, 1974, n°6, p.85-89.

 

 

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